mercredi 21 mars 2018

Qu'est-ce que la créolophonie ?



Retournons à l’essentiel, la culture. « Toute culture naît du mélange, de la rencontre, des chocs. À l’inverse, c’est de l’isolement que meurent les civilisations ». Aucune culture n’est fermée sur elle-même, parce qu’elle est influencée en permanence par d’autres, dès que l’homme se déplace et traverse les frontières. La créolophonie regroupe tous les hommes, tous les territoires et toutes les institutions qui considèrent le créole comme leur langue.


Ce sont différentes langues qui proviennent pour la plupart du français, de l’anglais ou du portugais. Les locuteurs de ces langues les dénomment « kreyòl », « patwa », « papiamento », etc. Une définition socio-historique présente les créoles comme des langues créées par les populations transplantées de l’Afrique vers l’Amérique à l’époque de la traite négrière.


Les créoles ne sont l’ennemi d’aucune autre langue. C’est ainsi que la créolophonie est ouverte à l’échange avec toutes les autres langues. Les langues ne se battent pas les unes contre les autres. Et la créolophonie n’est le privilège de personne ni d’aucun groupe. Mais, il peut y avoir plusieurs groupes qui luttent au service de la créolophonie. Quand nous parlons de lutte, nous ne voulons pas parler d’affrontement entre les groupes, mais de lutte contre les préjugés, de lutte contre les complexes.


L’usage du mot « créolophonie » peut prêter à confusion, car ce n’est pas nous qui avons inventé ce terme, c’est un mot qu’on emploie dès qu’on désigne l’ensemble des sociétés créolophones. C’est donc un terme qu’on a l’avantage de comprendre directement, sans avoir besoin de l’expliquer chaque fois qu’on l’exprime. Notre apport consiste à asseoir ce terme sur un discours philosophique et sociologique.


Je n’ai pas le monopole de la signification du terme « créolophonie » et je ne m’exprime ici au nom d’aucun groupe, d’aucune association. Je parle en mon nom, dans le cadre de mes recherches sur les langues et les cultures des créolophones. On pourrait attribuer une autre dénomination à cet ensemble, mais nous pensons que cela reviendrait au même. Il y a une différence entre le signe et la signification du signe. On se sert du terme « créolophonie », mais on aurait pu se servir tout autant d’un autre terme pour désigner cet ensemble.


Quel problème cet ensemble engendre-t-il ? Quelle est sa relation avec la francophonie ? Si ce ne sont pas « Kòkòt ak Figawo », ce ne sont pas des ennemis pour autant. Il n’y a même pas de dépendance entre ces deux termes, parce que le suffixe « phonie » vient du latin. On parle de créolophonie, comme on parle d’anglophonie ou de cacophonie. Ce n’est pas parce qu’il y a « phonie » comme suffixe qu’il faut le délimiter par rapport à la francophonie.


La francophonie est prise ici pour exemple, mais nous travaillerons plus tard aussi sur l’anglophonie et l’hispanophonie. Le problème posé est celui-ci : plusieurs structures relient les sociétés anciennement colonisées par la France pour défendre la langue et la culture des locuteurs du français alors qu’aucune structure ne relie les sociétés créolophones pour défendre les langues et les cultures de ces populations. Est-ce que les locuteurs du français et ceux du créole ont le même droit d’imposer leur langue et leur culture à leur propre société ?


Fabian Charles